La famille
La famille éclatée ?
La famille a été créée le jour où un homme et une femme se sont mis
ensemble, ont cohabité et ont conçu un enfant. Elle a été institutionnalisée
et vite considérée comme le fondement de toute nation. On l'a sacralisée
comme étant la base de la structure sociale idéale et beaucoup l'ont
considérée comme étant une œuvre divine. Le rapt des Sabines a été l'acte
fondateur de la création de Rome. La famille crée un lien de parenté
pacificateur. Le pouvoir politique s'appuie sur elle comme ciment de l'unité
de la nation et les poètes ont exalté les vertus du foyer familial. Mais
quand on parle maintenant de famille, on n'évoque plus l'unité sociale qui
se compose d'un homme et d'une femme unis par un lien institutionnel.
On ne s'unit pas pour toute son existence, et quel que soit le statut qui
les tient ensemble, il arrive une fois sur deux qu'une désaccord survienne
et que les couples se séparent. Le vrai ciment sur lequel repose durablement
un couple, ce n'est pas le désir amoureux qui peut être fugitif, mais le
lien partagé affectif, instinctif et de responsabilité commune à l'égard des
enfants.
Au-delà du désir amoureux qui peut se lasser, le couple doit trouver des
accords dans le vaste champ des occupations et des préoccupations de la vie
sociale et relationnelle : la gestion du patrimoine, l'éducation des
enfants, le lieu de résidence, la famille avec les parents de l'un et de
l'autre, les liens familiaux et ceux d'amitié avec les autres familles et
relations de travail. Il y a les choix esthétiques, celui des loisirs de
chacun et aussi des intérêts nouveaux à découvrir et à partager ... et tout
ce qui définit la personnalité. En fait cela se passe comme dans un duo
musical où les instruments jouent des notes différentes, mais des notes qui
s'accordent à chaque mesure. C'est quand ces points d'accord sont obtenus
qu'une relation de couple peut durer et résister aux accidents qui peuvent
surgir.
Mais il n'y a pas trop à ajouter sur ce terrain sans tomber dans la
banalité et redire ce qui est connu de tous ! Les adultes qui prennent la
décision de se séparer, font face souvent à des difficultés qu'ils subissent
et qu'ils assument plus ou moins bien : ils s'en remettent.
Ceux qui en sortent durablement marqués, ce sont les enfants encore jeunes
ou adolescents qui ne sont pas encore construits, et qui bien avant la
séparation décidée subissaient les premiers désaccords qui régnaient entre
les parents. Ils sont dans la situation de l'oiseau tombé du nid alors qu'il
ne sait pas encore voler. Le cas des adolescents est certainement le plus
tragique puisqu'ils doivent reconsidérer leurs jugements à peine ébauchés de
leur place dans une famille, et du rôle de père et mère qui à leurs yeux se
sont déconsidérés et ont manqué à leur rôle d'adultes. Quel que soit
l'accommodement qui résulte de la séparation, ils ont le sentiment d'être
sans foyer même quand ils
restent
encore au domicile. Ils voient d'un coup ce qu'ils ont perdu et en veulent
particulièrement au père qui a failli au même titre que le capitaine qui a
fait naufrage alors qu'il était investi de toute leur confiance. Ils
associent tous les adultes à ce manquement et ils entrent en rébellion pour
se guérir de la frustration en s'en prenant à la mère, au père, et à toute
la société dont ils ne respectent plus les règlements. Car la crise de
l'adolescent est toujours une mauvaise réponse à un traumatisme ou à un
manque, quand ceux à qui il pourrait se confier ignorent son existence ou
bien ont perdu leur crédibilité. Il a le sentiment que cette séparation se
fait contre lui et que sa vie ne sera jamais comme celle d'avant. Les rites
familiaux n'existent plus, il est désorienté et dans les cas les plus graves
on peut s'attendre à de grande déviances.
C'est qu'il arrive trop souvent que la séparation du couple blesse plus
particulièrement un des deux parents et que ce soit la guerre. Cette
violence entre les parents qui se séparent est pour une bonne part dans un
sentiment de culpabilité défoulée, exagérée parfois et réciproquement
injuste, parce que chacun n'accepte pas de considérer sa part de l'échec.
C'est dans cette mauvaise situation que les enfants nous jugent et trouvent
que les parents sont définitivement discrédités ; en cela ils sont lucides.
Ce sont les parents qui se conduisent comme des adolescents. Il faudra
beaucoup de temps pour que soit à peu près reconstruit ce qui a été brisé.
Les enfants garderont toujours la cicatrice de cette blessure.